L’âgisme: faire sans nous.
J’ai vécu ma première expérience d’âgisme alors que j’avais 61 ans et que j'étais à trois ans de ma retraite. Je profitais depuis peu d’un horaire de travail allégé à quatre jours semaine, obtenu dans le contexte d’une pré-retraite.
Alors voilà qu’en rencontre d’équipe, la gestionnaire demande à chacun de présenter le projet qui lui a été assigné. Arrivée à mon tour, elle prend la parole et annonce au groupe que mon focus sera de préparer ma sortie de piste à venir. Euh.
Si j’ai bien compté, il me restait tout de même plus de 4000 heures au boulot avant d'emprunter cette voie de service. Disons que j'aurais aimé en discuter.
Je vivais pour la première fois la portée de cette exclusion qu’on appelle “âgisme''. Je n’ai bien sûr pas baissé pavillon et me suis concentrée dans les dernières années à accompagner des stagiaires de maîtrise qui prenaient la relève dans le service, au grand bonheur de la gestionnaire.
Une discrimination consciente dans le monde du travail
Le phénomène de l’âgisme est peu reconnu et franchement toléré. De plus, il se décline de multiples façons. Sur le marché de l’emploi par exemple, l’expression “place à la relève” ne concerne que les jeunes. Et si nous faisions parfois office de relève?
Un consultant en gestion de ressources humaines et recrutement de cadres décrit bien la situation :
“Contrairement à d'autres formes de discrimination, qui tiennent souvent de biais inconscients, c'est consciemment, qu'on rejette les personnes plus âgées (et ça commence dès la cinquantaine!).
On parle de diversité, d'équité et d'inclusion, mais toujours en termes de genre, de race ou d'orientation sexuelle, jamais en termes de génération”.
Le consultant
En effet, à compétences égales, être jeune ouvre les voies. Pourtant le consultant m’informait aussi que la moyenne d’années de service dans un même emploi pour un cadre de 35-45 ans est de cinq ans, avancement oblige. Le soixantenaire, bagage d’expériences en plus, ne pourrait-il pas être en poste également pendant ce lapse de temps voire un peu plus longtemps ? Et si la relève n’était pas seulement une question d’âge ?
La bonne nouvelle c’est qu’avec la pénurie du personnel et les changements dans le monde du travail de ces dernières années, le conseil du patronat se met à courtiser les soixantenaires. Le nombre des travailleurs âgés de 65 ans et plus en emploi serait même passé de 169 800 à 194 000 entre 2019 et 2022 selon le ministre du Travail et de l’Emploi, Monsieur Jean Boulet (La Presse Affaires, 2022-07-09 ).
On peut certes comprendre entre les lignes que ces chiffres reflètent aussi la nécessité d’arrondir les fins de mois pour certains séniors. Des représentations de la part de la FADOQ sont par ailleurs en cours pour dénoncer les conditions économiques dans lesquelles vivent plusieurs aînés.
L’infantilisme
Ce qui tue dans l’âgisme comme dans tout phénomène d’exclusion, c’est cette impression qu’on nous demande de rester en marge de la parade et qu’on va désormais penser à notre place. Le danger lorsqu’on prend de l’âge, c’est effectivement que les gens se mettent à faire sans plutôt qu’avec nous. Ça porte un nom: l'infantilisme. Un cran de plus et on devient invisible.
Je me rappelle de cette femme de plus de 70 ans avec laquelle jai discuté en avril 2020 en tout début de pandémie. Chacune assise sur notre banc de parc, à trois mètres de distance, elle me racontait qu’elle avait dû annuler son voyage en Russie. Et qu’il n’était pas question qu’elle s’enferme dans la maison alors que tous les jours, été comme hiver, elle prenait sa marche de santé depuis des années. Eh oui, elle ferait fi de la directive du gouvernement qui demandait aux personnes âgées de ne pas sortir, même pour une promenade. Elle était capable de faire la part des choses, ne se présenterait pas dans les commerces mais irait certes prendre l’air.
L’âgisme prend plusieurs visages. Ceux par exemple de préjugés sur nos capacités à prendre des décisions qui nous concernent sur le plan de la santé, du logement, sur nos aptitudes à s’adapter aux changements et à apprendre. Non, je ne maîtrise pas les nombreuses possibilités d’un puissant ordinateur Mac mais je suis fonctionnelle et j'ai appris à travailler sur Wordpress.
Enfin, chacun vieillit à sa manière. Selon son état de santé, il aura besoin ou non qu’on lui répète les informations, qu’on prononce davantage les mots et qu’on parle plus fort. Ma mère à 90 ans, après quelques AVC en a besoin. Mais elle insiste aussi pour qu’on la sorte rendre visite aux petits enfants et aux membres de sa famille. Elle n’est pas qu’en perte cognitive et d’autonomie. Il y a tout un monde affectif encore vibrant en elle.
Les pistes pour améliorer la situation.
Il relève d’abord de nous, les séniors, de ne pas laisser passer les situations d'âgisme dont nous sommes témoins ou dont nous faisons les frais, sans les reprendre avec ceux et celles qui les créent. C’est notre part de responsabilité. Troquons l'exclusion pour l’éducation. Et j’ose croire que c’est par ignorance que les gens s’y adonnent.
Puis, il y a ces initiatives intergénérationnelles qui nous rapprochent les uns des autres;
des projets scolaires qui favorisent le pairage entre jeunes et aînés. On ne peut plus penser pareil d’une part comme de l’autre lorsqu’on a vécu de vraies rencontres.
des colocataires de diverses générations dans une même maison
des équipes multi générationnelles au travail qui accordent leurs violons
des grands projets de recherche comme celui de l’Université de Sherbrooke: GIRA (Grande interaction pour rompre avec l’âgisme)
et des petits articles comme celui-ci qui nous amènent à réfléchir et à se mobiliser
Brigitte B.
La consultation a pris fin